L'influence du droit européen sur les techniques de contrôle utilisées par le Conseil constitutionnel


Valérie GOESEL-LE BIHAN,

Professeur à l'Université Lumière Lyon 2


Cette communication a été présentée au 11ème séminaire franco-japonais intitué "Aux sources nouvelles du droit", organisé les 19 et 20 mars 2015 par l'Université de Paris X-Nanterre.


Est-il encore possible d'étudier les techniques de protection des droits et libertés utilisées par le Conseil constitutionnel, sans prendre en compte leur source européenne, c'est-dire sans exposer ce qu'elles empruntent au droit européen, et plus particulièrement - nous nous contenterons d'étudier ce point aujourd'hui - à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ? La réponse est  clairement négative.

Mais trois difficultés doivent être au préalable surmontées :

- Première difficulté : cette source reste souterraine. S'agissant d'un "dialogue sans paroles"[1], comme l'a écrit l'un des anciens membres du Conseil, seule l'analyse de la proximité, voire de l'identité des raisonnements suivis par les deux Cours permet de conclure à son existence. Pour les décisions récentes, les commentaires internes au Conseil, en dépit de leur statut incertain, fournissent également une source d'information. Mais ces commentaires, souvent prolixes lorsqu'ils s'attachent à justifier la consécration de nouvelles normes de référence inspirées de la CEDH, le sont beaucoup moins lorsqu'il s'agit  de justifier le choix des techniques de contrôle ou de leurs modalités d'exercice. Ici, les choses ne sont que peu dites, ce qui laisse le champ libre aux conjectures, le parallélisme des solutions adoptées successivement par les deux Cours ne signifiant pas forcément que l'une prenne sa source dans l'autre.

- Deuxième difficulté : cette source est seconde : l'influence du droit européen n'est que rarement exclusive et doit être analysée dans une perspective diachronique. La première source de ces techniques a en effet été le droit administratif français dont les diverses techniques de contrôle utilisées par le Conseil constitutionnel sont le plus souvent issues, qu'il s'agisse du contrôle de proportionnalité ou de celui de l'incompétence négative. La source européenne n'est donc le plus souvent que seconde, influençant davantage les évolutions que vont connaître par la suite ces techniques, généralisation de leur champ d'application ou affinement de leurs modalités d'exercice.

- Troisième difficulté : cette source, pour pouvoir être repérée, suppose de comprendre la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ce qui n'est pas une mince affaire. La brièveté de la motivation de ses décisions, l'utilisation de considérants sectoriels qui - lorsqu'ils existent - ne s'accompagne pas de l'énonciation de règles de principe générales, l'absence de conclusions présentées par un rapporteur public ne facilitent guère la tâche du lecteur. Au delà, c'est la "politique des petits pas" suivie par le Conseil qui est susceptible de poser problème. Elle suppose en effet de la part de ce lecteur qu'il connaisse l'ensemble des décisions rendues, domaine par domaine, liberté par liberté, hypothèse par hypothèse, pour qu'il puisse maîtriser les ressorts de la jurisprudence et mettre en lumière ses éventuelles sources extérieures. Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire, cette difficulté qui se pose à la doctrine est souvent résolue par l'énonciation de règles générales - le Conseil ne contrôlerait pas l'objectif poursuivi par le législateur ou ne sanctionnerait que les disproportions manifestes qu'il commet. Or, ces règles, en plus de ne pas correspondre à la réalité de la jurisprudence, créent ou maintiennent artificiellement des différences avec la jurisprudence européenne. 

Comme nous allons le voir, la source européenne irrigue en réalité les différentes techniques de protection des droits et libertés auxquelles recourt le Conseil, qu'il s'agisse du contrôle de la proportionnalité (1.), de l’objectif poursuivi (2.) ou de l’incompétence négative (3.). 

1.  L'influence du droit européen sur le contrôle de proportionnalité

Dans la jurisprudence du Conseil, l'apparition de la technique est davantage influencée par le droit administratif français, influence qui est alors décelable dans la formulation même des décisions[2] ou exprimée - on le sait aujourd'hui pour les décisions qui ont plus de 25 ans - lors du délibéré[3].

L'évolution de ses modalités d'exercice est en revanche influencée par le droit européen. Le commentaire de la décision QPC Exception de vérité des faits diffamatoires constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou ayant donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision en date du 7 juin 2013[4] précise d'ailleurs que "dans sa décision HADOPI I, s’inspirant de la grille d’analyse de la Cour européenne des droits de l’homme, le Conseil constitutionnel soumet les atteintes portées à cette liberté à une triple condition de nécessité, d’adaptation et de proportion à l’objectif poursuivi". Sont ici concernés les éléments du contrôle de proportionnalité exercé. Depuis la décision Rétention de sûreté du 21 février 2008 pour la liberté individuelle et la décision Hadopi du 10 juin 2009 pour la liberté de communication, le Conseil, parachevant une évolution commencée au début des années 90, considère que les atteintes portées à l’exercice de ces libertés - dites de "premier rang" - "doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à l’objectif (...) poursuivi"[5]. Les trois éléments du contrôle de proportionnalité (adéquation, nécessité et proportionnalité au sens strict) leur sont donc appliqués.

A cette influence explicite, s'ajoute une influence plus souterraine qui intéresse cette fois le champ d'application du contrôle de proportionnalité. On ne peut en effet qu'être frappé par la convergence des solutions retenues pour les droits qui, au seuil des années 2000 et dans la jurisprudence du Conseil, ne font encore l'objet que d'un contrôle de la dénaturation. Tel est le cas du droit d'exercer un recours, mais aussi du droit de propriété[6]. Prenons ce dernier exemple :

-  tant que le contrôle de proportionnalité des mesures de réglementation de l'usage des biens n'est que "formel" dans la jurisprudence de la CourEDH[7], le Conseil constitutionnel se contente d'exercer un contrôle rudimentaire de la "dénaturation" : seules les "limitations qui revêtent un caractère de gravité telle que l'atteinte au droit de propriété qui en résulte dénature le sens et la portée de ce droit"[8] sont déclarées inconstitutionnelles. L'atteinte à la substance du droit est donc seule sanctionnée.

- en revanche, lorsque le contrôle de proportionnalité exercé par la CourEDH devient "normal" et aboutit, dans l'arrêt Chassagnou et autres c. France rendu le 29 avril 1999[9], à une décision d'inconventionnalité[10], le Conseil étend lui-même le champ du contrôle de proportionnalité aux atteintes portées à son exercice. Dans la décision Loi sur la solidarité et le renouvellement urbains en date du 7 décembre 2000, la restriction apportée au droit de propriété est en effet déclarée inconstitutionnelle parce qu’elle porte une "atteinte disproportionnée à l’objectif poursuivi"[11]. Cet approfondissement du contrôle ne sera toutefois explicité et confirmé par un nouveau considérant de principe que bien plus tard, dans la décision QPC Mur mitoyen du 12 novembre 2010, elle-même confirmée à de multiples reprises par la suite. On y lit en effet que les limites apportées à l'exercice du droit de propriété "doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi"[12].

La convergence des contrôles de proportionnalité exercés par les deux Cours est toutefois bien plus large. Au-delà de l'extension de son champ d'application, ce sont en effet les critères de variation des éléments et de l'intensité du contrôle de proportionnalité qu'elles exercent qui sont aujourd'hui à l'unisson. Certes, alors que la CourEDH précise que l’étendue du pouvoir d’appréciation des autorités nationales compétentes "est variable et dépend d’un certain nombre de facteurs, dont la nature du droit en cause garanti par la Convention, son importance pour la personne concernée, la nature de l’ingérence et la finalité de celle-ci"[13], aucun considérant de principe ne vient en résumer le jeu dans la jurisprudence du Conseil. La comparaison est donc plus difficile et suppose, à défaut de toute systématisation jurisprudentielle, de recourir, du côté du Conseil, aux systématisations doctrinales qui ont été proposées[14]. Ce détour effectué, la convergence saute également aux yeux. En effet, la nature du droit restreint, qui a constitué le premier critère de variation de son contrôle utilisé par le Conseil, a été complétée au fil du temps par la prise en compte des autres critères mentionnés - gravité de la restriction opérée et finalité poursuivie par le législateur. La rationalité de la jurisprudence est d'ailleurs devenue de ce fait de plus en plus difficile à saisir.

L'approfondissement du contrôle opéré présente d'ailleurs les mêmes caractéristiques du côté européen et du côté du Conseil constitutionnel, étant à la fois horizontal et vertical[15] :

Horizontal, parce que les trois éléments du contrôle de proportionnalité sont alors exercés : lorsqu'un droit "de premier rang" fait l'objet d'une atteinte grave, le contrôle de la nécessité exercé par le Conseil revêt alors un sens particulier, celui-ci vérifiant s'il n'existe pas à la disposition du législateur de mesure alternative moins contraignante pour atteindre l'objectif qu'il poursuit[16], contrôle qu'exerce à l'identique la CourEDH[17].

Dans les autres hypothèses, le contrôle se réduit toutefois à un simple contrôle de la mesure prise, en particulier lorsque le droit de propriété est en cause, le triple test ne leur ayant jamais été appliqué par le Conseil[18]. Sur ce dernier point, la convergence est également frappante : d'un côté, le Conseil affirme, depuis 1990 et dans un considérant sans doute emprunté à la CJCE[19], "qu'il ne lui appartient (…) pas de rechercher si l'objectif que s'est assigné le législateur n'aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif poursuivi"[20]. De l'autre, la CourEDH, plus prolixe, "estimant normal que le législateur dispose d’une grande latitude pour mener une politique économique et sociale", juge infondé le recours à un contrôle "de stricte nécessité" et précise qu'"en elle-même, l’existence de solutions de rechange ne rend pas injustifiée la législation litigieuse"[21].

Vertical, parce que le contrôle exercé est également plus intense. Le contrôle est en effet soit restreint, ne sanctionnant que l'erreur manifeste d'appréciation, soit strict (ou entier). Les lignes de partage de ces contrôles sont toutefois de plus en plus subtiles dans la jurisprudence du Conseil et ne peuvent être mises en relation de façon globale avec celle de la Cour européenne sans être caricaturées[22].

De cette mise en relation des critères de variation du contrôle de proportionnalité, globalement concordants, résulte une requête : que le Conseil constitutionnel explicite, par un considérant analogue à celui exposé plus haut, les différents critères qu'il utilise, afin d'offrir à la doctrine une lecture plus facile de sa jurisprudence et de lui éviter - "préjugé" courant - de présenter le contrôle de proportionnalité qu'il exerce comme réduit à un contrôle restreint[23]. Le Conseil s'éviterait ainsi un excès d'indignité qui résulte en partie de ce malentendu[24].

L'étude du contrôle de l'objectif poursuivi, dernier-né des contrôles exercés sur les atteintes aux droits et libertés dans la jurisprudence constitutionnelle[25], témoigne également de cette influence européenne.

2. – L’influence du droit européen sur le contrôle de l’objectif poursuivi

Ici encore, l'apparition du contrôle doit être distinguée de l'affinement postérieur de ses figures.

L'exigence constitutionnelle de poursuite d'un but d'intérêt général apparaît en effet dès le début des années 1980 en cas de restriction apportée à un droit ou une liberté garantie par la Constitution. Elle se subdivise alors en la poursuite d'un motif de valeur constitutionnelle pour les restrictions apportées aux droits "de premier rang" et d'un intérêt général simple pour celles apportées aux autres droits.

Elle ne s'affine qu'en 1998 : la restriction à certains droits - intermédiaires à cet égard - doit désormais poursuivre un "intérêt général suffisant"[26]. C'est sur ce point que l'influence européenne a été la plus nette et la plus commentée. On s'en souvient, l'évolution de la jurisprudence du Conseil en matière de validation législative a en effet succédé à l'arrêt Zielinski du 28 octobre 1999 dans lequel la CourEDH a déclaré inconventionnelle une mesure d'application d'une loi précédemment déclarée constitutionnelle par le Conseil[27].

L'exigence d'un intérêt général suffisant a d'ailleurs essaimé par la suite. Elle a en effet touché les restrictions apportées à tous ceux des droits et objectifs de valeur constitutionnelle qui se rattachent à l'exigence de sécurité juridique. Consacrés par le Conseil sur le fondement de la "garantie des droits" mentionnée à l'article 16 de la Déclaration, ils sont constitués du principe de non-rétroactivité des lois autres que pénales (pour ces dernières l'interdiction de restriction est en effet absolue), de l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, de la protection des contrats légalement conclus,  du droit au maintien des situations légalement acquises et - depuis une décision du 19 décembre 2013 Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014[28] - des effets qui peuvent en être légitimement attendus.

Mais un tel motif n'en restait pas moins en retrait - terminologique - par rapport à celui utilisé par la CourEDH. L'"intérêt général suffisant" semblait en effet moins exigeant, en dépit des assurances prodiguées par certains membres du Conseil, que les "impérieux motifs d'intérêt général" imposés au niveau européen. Ce laxisme terminologique - si ce n'est de contenu - a toutefois récemment disparu. La décision QPC du 14 février 2014 Validation législative des délibérations des syndicats mixtes instituant le "versement transport[29] a en effet finalement troqué l'"intérêt général suffisant" pour le "motif impérieux d'intérêt général"[30]. Il s'agit là d'un épilogue remarquable, dont il reste toutefois au Conseil à étendre le champ d'application. Cet alignementne vaut en effet qu'en cas de validation législative ou d'atteinte au principe de non-rétroactivité. Or les autres droits et objectifs consacrés par le Conseil sur le fondement de l'article 16 et énumérés plus haut peuvent également être protégés par une telle exigence dans la jurisprudence de la Cour[31].

Mais à côté de cette influence, indéniable et continue, n'en existe-t-il pas une autre, plus souterraine ? plus précisément, la Convention ne peut-elle être considérée comme la cause de la généralisation de l'exigence de poursuite d'un but - au minimum - d'intérêt général en cas de restriction apportée à un droit ou une liberté de valeur constitutionnelle - et de l'effectivité du contrôle dont elle est aujourd'hui le support[32]. Imposée par le Conseil dès le début des années 1980, une telle exigence s'est en effet généralisée. Au contrôle du "but légitime", dont l'exercice précède, dans la jurisprudence de la CourEDH, celui de la proportionnalité, a donc progressivement correspondu, dans la jurisprudence du Conseil, un contrôle du "motif" poursuivi, d'ailleurs qualifié de "légitime" dans certaines décisions récentes[33].

Certes, les décisions d'inconstitutionnalité ou d'inconventionnalité sont peu nombreuses sur ce fondement (1 pour la CourEDH, 8 pour le Conseil constitutionnel) les juges préférant, en cas de doute, sanctionner la mesure litigieuse pour disproportion[34]. Certes, le droit administratif continue de marquer une partie du vocabulaire utilisé par le Conseil - le "motif" - objectif - plutôt que le "but" - plus subjectif.

Mais la source européenne est indéniable : au-delà de l'autre partie du vocabulaire - l'adjectif "légitime", que l'on retrouve dans certaines décisions du Conseil - c'est l'intensité même du contrôle exercé qui varie à l'identique lorsqu'un droit économique est en cause : à la jurisprudence de la CourED, dont le contrôle de l'"utilité publique" est explicitement restreint en cas d'atteinte au droit de propriété, le législateur devant disposer "d’une grande latitude pour mener une politique économique et sociale"[35] répond, comme en écho, celle du Conseil, dont les commentaires révèlent la volonté de ne pas substituer son appréciation à celle du législateur sur "la pertinence économique du motif d'intérêt général poursuivi" en cas de restriction apportée à la liberté d'entreprendre[36].

Il nous semble même que la première décision d'inconstitutionnalité rendue pour absence de motif d'intérêt général poursuivi n'est pas sans lien avec la jurisprudence de la CourEDH. Statuant sur la loi modifiant la loi Verdeille suite à la décision d'inconventionalité adoptée par la CourEDH dans l'arrêt Chassagnou et autres c. France[37], le Conseil est également confronté à une autre restriction apportée au droit de propriété[38], l'instauration d'un jour "de non-chasse". Or, celle-ci est déclarée en partie inconstitutionnelle car, considère le Conseil, "une telle interdiction doit être (…) justifiée par un motif d'intérêt général. Certes, poursuit-il, "constitue un tel motif la nécessité d'assurer la sécurité des enfants d'âge scolaire et de leurs accompagnateurs le mercredi". Mais, achève-t-il, "la faculté ouverte à l'autorité administrative de choisir une autre période hebdomadaire de vingt-quatre heures "au regard des circonstances locales", sans que ni les termes de la disposition critiquée, ni les débats parlementaires ne précisent les motifs d'intérêt général justifiant une telle prohibition, est de nature à porter au droit de propriété une atteinte contraire à la Constitution". En d'autres termes, même si la déclaration d'inconstitutionnalité affecte une autre disposition que celle modifiée suite à l'arrêt de la Cour et si l'arrêt de la Cour - dans lequel le but poursuivi par la loi a été longuement analysé -  ne déclare son application inconventionnelle que pour disproportion, le contrôle de l'objectif poursuivi fait ici une entrée en scène remarquable et, quelques mois après les décisions de 1999 exigeant la poursuite d'un "intérêt général suffisant" en cas de validation, signe, pour les droits restés de "second rang", son caractère effectif.

Ce voyage au coeur des techniques de contrôle utilisées par le Conseil serait incomplet s'il ne s'achevait par l'étude de l'incompétence négative, et plus précisément par celle de ses formes qui intéresse directement les droits et libertés de valeur constitutionnelle : la sanction de la privation des garanties légales des exigences constitutionnelles.

3. – L’influence du droit européen sur le contrôle de l’incompétence négative

Là encore, le grief utilisé par le Conseil est issu du droit administratif, mais sa fonction est assurément identique à celle de la technique des obligations positives développée par la CourEDH.

Comment raisonne le Conseil ? la liberté ou le droit constitutionnel concerné va servir de fondement à la consécration d’un objectif ou d'une exigence de valeur constitutionnelle, c'est-à-dire d'une règle de valeur constitutionnelle dont la mise en oeuvre devient obligatoire pour le législateur[39]. Va donc peser sur le législateur une obligation de concrétisation des droits et libertés concernés qui sera susceptible d’être sanctionnée via ce grief. Ce dernier joue en quelque sorte le rôle de recours en carence, étant précisé qu'un tel recours ne peut être exercé qu’à l’occasion de l’adoption d’une loi et n’emporte son inconstitutionnalité que si le dispositif prévu par le législateur présente, selon l’expression même du Conseil, des "lacunes"[40]. C'est donc le "trop peu" de la loi, c'est-à-dire l'insuffisance de la protection opérée, qui sera sanctionné alors que son excès l'est dans le cadre du contrôle de proportionnalité[41].

Afin de montrer les liens existant entre la technique européenne des obligations positives et celle des "garanties légales", prenons l'exemple de la décision QPC du 01 avril 2011 Motivation des arrêts d'assises[42]. Est contestée l'absence de motivation des arrêts de la Cour d'assises qui résulte d'une interprétation constante des dispositions y relatives du Code de procédure pénale. La décision interprète les articles 7, 8 et 9 de la Déclaration de 1789 comme imposant "au législateur, dans l'exercice de sa compétence, de fixer des règles de droit pénal et de procédure pénale de nature à exclure l'arbitraire dans la recherche des auteurs d'infractions, le jugement des personnes poursuivies ainsi que dans le prononcé et l'exécution des peines". A cette "exigence constitutionnelle" est ensuite attachée par le Conseil "l'obligation de motiver les jugements et arrêts de condamnation" qui en constitue "une garantie légale", laquelle n'a toutefois pas de "caractère général et absolu". Son absence peut en effet être compensée par la présence d'autres garanties "propres à exclure l'arbitraire". Le Conseil va donc vérifier si les débats devant la Cour d'assises et les modalités de la délibération présentent de telles garanties, et il y répondra positivement.

Or, qu'avait décidé la CourEDH dans son arrêt Taxquet c. Belgique en date du 16 novembre 2010[43] ? que, s'agissant des "cours d’assises avec participation d’un jury populaire, (...) l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation".

L'identité fonctionnelle des deux techniques, dont la doctrine n'a pas encore suffisamment pris la mesure, saute aux yeux : du côté du Conseil, l'effectivité de l'exigence constitutionnelle de lutte contre l'arbitraire est assurée via l'imposition de garanties légales propres à l'exclure. Du côté de la CourEDH, le respect des exigences du procès équitable impose que l'Etat reconnaisse des "garanties suffisantes" à l'accusé, en particulier via l'adoption de règles procédurales propres à écarter tout risque d'arbitraire.

Bien sûr, mais il faut le rappeler, les obligations positives de la CourEDH ont une portée plus large. Les mesures exigées peuvent en effet être tant normatives que d'ordre matériel. Elles se retrouvent toutefois dans la jurisprudence du Conseil sous la seule forme que lui permette son office: la sanction des lacunes contenues dans la loi ou les dispositions législatives qui lui sont soumises. "Inhérentes" aux droits garantis par la Convention en tant qu'elles sont nécessaires à leur réalisation[44], les obligations positives migrent dans la jurisprudence du Conseil via la catégorie générale des "exigences constitutionnelles" qui ne sont également que la "face positive"[45] des droits et libertés garantis par la Constitution. En atteste en particulier la décision du 10 juin 2009, Hadopi[46]. Le passage du droit ou de la liberté à l'objectif ou à l'exigence de valeur constitutionnelle y est explicite : le droit de propriété sert de fondement à l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de la propriété intellectuelle, auquel - considère le Conseil - répond la lutte contre les pratiques de contrefaçon qui se développent sur internet. Sa mise en oeuvre devient ainsi une obligation pour le Parlement[47].

S'ajoute enfin une dernière convergence : le contrôle de proportionnalité, qui accompagne la mise en oeuvre de la technique des obligations positives, est également présent dans la jurisprudence du Conseil, les garanties légales devant être appropriées et proportionnées à l'objectif poursuivi[48].


Si la convergence des différentes techniques de contrôle utilisées par les Cours européennes et le Conseil constitutionnel est indéniable, elle n'en présente pas moins des limites qui doivent également être exposées en guise de considérations finales.

Sur certains points, les différences entre les caractéristiques des techniques de contrôle utilisées restent en effet importantes. Tel est le cas en particulier pour le contrôle de l'objectif poursuivi. Devant la CourEDH, celui-ci inclut un contrôle du détournement de pouvoir commis par le législateur et dispose également d'un champ d'application plus large qui inclut les questions de société. Or, tel n'est pas le cas devant le Conseil constitutionnel.

Commençons par le détournement de pouvoir : l'étendue du contrôle exercé par la CourEDH apparaît très clairement dans les arrêts James c. Royaume-Uni en date du 21 février 1986[49] et Chassagnou et autres c. France en date du 20 avril 1999[50]. Il inclut en effet, non seulement un contrôle objectif, l'intérêt mis en avant devant être légitime "en principe", mais également un contrôle du mobile poursuivi par le législateur : l'objectif poursuivi doit être légitime "en l'espèce" et fait dans ce cadre l'objet d'un contrôle - subjectif - du détournement de pouvoir. La Cour vérifie ainsi que l'intérêt général mis en avant par l'Etat ne masque pas le caractère "purement politique" d'une "mesure électorale" adoptée par la majorité au Parlement[51] ou le seul intérêt particulier d'une catégorie de personnes, les chasseurs par exemple dans le second arrêt que je viens de citer[52].

Lorsqu'un tel grief est en revanche articulé devant le Conseil constitutionnel - par exemple que la disposition contestée a été adoptée "pour des motifs manifestement étrangers à l'intérêt général"[53] ou afin "d'assurer la promotion d'intérêts privés au détriment des intérêts supérieurs de la collectivité"[54] - le Conseil n'en examine pas le bien-fondé. Il se contente en effet d'exercer un contrôle objectif, seul le motif avancé par le législateur étant contrôlé et non son éventuelle discordance avec un mobile qu'il aurait effectivement poursuivi[55].

Continuons par les questions de société, en prenant le cas de la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public. Dans l'arrêt S.A.S. c. France rendu le 1er juillet 2014[56], la CourEDH considère que "la teneur des objectifs invoqués par le Gouvernement et fortement contestés par la requérante, commande un examen approfondi". Seuls deux motifs sont d'ailleurs estimés légitimes au sens du second paragraphe des articles 8 et 9 de la Convention, la protection de la sécurité publique[57] et le "respect des exigences minimales de la vie en société"[58] ; le respect de l’égalité entre les hommes et les femmes et le respect de la dignité des personnes ne sont pas, quant à eux, considérés comme relevant de "la protection des droits et libertés d'autrui". Bien sûr, le laxisme de la Cour a pu être dénoncé sur ce point[59]. Il n'en demeure pas moins que le contrôle qu'elle exerce sur les objectifs poursuivis par le législateur est réel.

Tel n'est pas le cas en revanche du Conseil qui, saisi avant la promulgation de la loi, s'est contenté de considérer que "le législateur a estimé que de telles pratiques peuvent constituer un danger pour la sécurité publique et méconnaissent les exigences minimales de la vie en société ; qu'il a également estimé que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une situation d'exclusion et d'infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d'égalité". Les "objectifs qu'il s'est assignés" ne sont à l'évidence pas contrôlés par le Conseil, ce dernier se contentant d'exercer un contrôle de proportionnalité. Comment expliquer cette  auto-limitation ? On peut sans doute la mettre en relation avec celle apparue dans une autre décision, rendue quelques mois auparavant, la décision QPC Loi dite anti-Perruche. Le Conseil y avait en effet déjà estimé que les « considérations éthiques et sociales » prises en compte par le législateur "relèvent de sa seule appréciation"[60], créant ainsi un îlot de non-contrôle de l'objectif poursuivi. Dans la décision sur la dissimulation, le non-contrôle est toutefois moins explicite : le Conseil se contente de prendre acte des objectifs poursuivis par le législateur sans expliquer sa démarche. De plus, les considérations prises en compte recouvrent en partie des principes de valeur constitutionnelle (principe d'égalité de l'homme et de la femme, principe de liberté). Enfin, l’absence de toute distinction entre les motifs qui sont normalement contrôlés (dont l'ordre public) et ceux qui pourraient être considérés comme des "considérations éthiques et sociales" laisse également perplexe.

La question des contours exacts de cet îlot de non-contrôle et de sa justification reste donc posée. Sans doute, les finalités poursuivies ont-elles été contaminées ici par l’objet même de la loi, qui répond à l'évidence à une question de société[61]. Le self-restraint du Conseil n'en est pas moins indéniable, laissant le champ ouvert au contrôle exercé par la CourEDH.

Il reste donc - et c'est le point d'arrivée de cette étude - à jeter un pont entre les techniques de protection des libertés utilisées par le Conseil et celles à l'oeuvre en droit européen en constatant que les premières prennent directement leur source dans les secondes. Source plus clandestine, mais plus profonde que celle concernant la consécration de nouveaux droits et libertés et qui, coulée dans des contrôles issus du droit administratif français, ne laisse de donner à la protection des droits et libertés mise en oeuvre par le Conseil constitutionnel son allure particulière.

Approfondissons donc la connaissance de ses détours avant de revisiter le droit européen, et continuant de rompre, comme l'écrivait Marcel Proust, avec "cette habitude que nous avions de n'aller jamais vers les deux côtés un même jour, dans une seule promenade, mais une fois du côté de Méséglise, une fois du côté de Guermantes, les enferm[ant] pour ainsi dire loin l'un de l’autre (…) dans les vases clos et sans communication (…) d'après-midi différents"[62], remontons ensemble à ses sources.




[1] Olivier DUTHEILLET DE LAMOTHE, "Conseil constitutionnel et Cour européenne des droits de l’homme : un dialogue sans paroles", inMélanges Bruno Genevois, Dalloz, 2009, p. 403.

[2] En ce sens, v. la décision DC du 12/01/1977, Loi autorisant la visite des véhicules en vue de la recherche et de la prévention des infractions pénales. Le contrôle de proportionnalité est exercé pour la première fois et, tout en restant implicite, apparaît dans une formulation qui évoque le contrôle de proportionnalité exercé par le juge administratif sur les actes de police administrative : "Considérant qu'en raison de l'étendue des pouvoirs, dont la nature n'est, par ailleurs, pas définie, conférés aux officiers de police judiciaire et à leurs agents, du caractère très général des cas dans lesquels ces pouvoirs pourraient s'exercer et de l'imprécision de la portée des contrôles auxquels il seraient susceptibles de donner lieu, ce texte porte atteinte aux principes essentiels sur lesquels repose la protection de la liberté individuelle" (Rec., p. 33).

[3] En ce sens, v. la décision DC du 25/07/1979, Loi modifiant les dispositions de la loi n° 74-696 du 7 août 1974 relatives à la continuité du service public de la radio et de la télévision en cas de cessation concertée du travail (Rec. p. 33). Le contrôle de proportionnalité y est exercé pour la première fois de façon explicite, les limitations apportées au droit de grève n'étant considérées comme constitutionnelles que si elles sont nécessaires à la sauvegarde des impératifs antagonistes mis en oeuvre. Or, pour justifier l'exercice d'un tel contrôle, le rapport de L. GROS mentionne, en plus de la législation, la jurisprudence administrative, renvoyant même à la septième édition des ses Grands arrêts : les seules limitations qui peuvent être apportées au droit de grève sont celles indispensables pour la sauvegarde de l’ordre public, cette considération essentielle lui paraissant conforme à l’intention du constituant (B. MATHIEU e.a., Les grandes délibérations du Conseil 1958-1983, Dalloz, 2009, p. 306).

[4]JO du 9/06/2013 p. 9632.

[5]Déc. du 21/02/2008 Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour trouble mental, précitée et Déc. du 10/06/2009, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, Rec. p. 107.

[6] Dans le même sens, v. P. WACHSMANN, "La transposition en droit constitutionnel français de l'économie de l'article 1er du Protocole additionnel" inMélanges V. Berger, WLP, 2013., p. 437-452.

[7] Pour une telle analyse de la jurisprudence de la CourEDH, v. F. SUDRE, Droit international et européen des droits de l'homme, PUF, 11ème édit, 2012, p. 683.

[8] Déc. DC du 09/04/1996, Loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française, Rec. p. 43.

[9] CourEDH, n° 25088/94, 28331/95 et 28443/95.        

[10] Sur ce point, v. également F. SUDRE, loc. cit..

[11]Rec. p. 176.

[12]Rec. p. 321.

[13]S. et Marper c. Royaume-Uni, 4/12/2008, n° 30562/04 et 30566/04, § 102. Pour une formulation proche, v. celle de la CJUE qui précise que "l’étendue du pouvoir d’appréciation" des autorités qu'elles contrôlent "peut s’avérer limitée en fonction d’un certain nombre d’éléments, parmi lesquels figurent, notamment, le domaine concerné, la nature du droit en cause (…), la nature et la gravité de l’ingérence ainsi que la finalité de celle-ci" (Digital Rights Ireland Ltd, 8/04/2014, aff. C-293/12, § 47).

[14] Voir R. FRAISSE, "Le Conseil constitutionnel exerce un contrôle conditionné, diversifié et modulé de la proportionnalité" in "Les figures du contrôle de proportionnalité en droit français", LPA, numéro spécial 2009, p. 74 et s. et, entre autres écrits de l'auteur, V. GOESEL-LE BIHAN, Contentieux constitutionnel, Ellipses, 2010, p. 191 et s.

[15] Cette double différenciation semble d'ailleurs ne plus être propre au contentieux constitutionnel mais avoir récemment migré dans le contentieux administratif lui-même : comme le constatent X. DOMINO et A. BRETONNEAU à propos du principe de précaution, un office équilibré du juge administratif appelle parfois un contrôle restreint de la proportionnalité de certaines mesures que contrebalancera toutefois son extension horizontale, la nécessité de la mesure devant également être mesurée à l'aune des autres mesures envisageables ("Principe de précaution et théorie du bilan : mille plateaux", AJDA 2013 p. 1046).

[16] En ce sens, v. V. GOESEL-LE BIHAN, Contentieux constitutionnel, Ellipses, 2010, p. 198.

[17] V. S. VAN DROOGHENBROECK, La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits de l'homme, Bruylant, 2001, p. 197 et s. et en particulier, à propos de la liberté de communication, l'arrêt de la CourEDH Informationsverein Lentia et autres c. Autriche du 24/11/1993, n°13914/88; 15041/89; 15717/89; 15779/89; 17207/90 La Cour précise en effet, s'agissant d'un monopole public de l'audiovisuel, qu'"enfin et surtout, on ne saurait alléguer l’absence de solutions équivalentes moins contraignantes ; à titre d’exemple, il n’est que de citer la pratique de certains pays consistant soit à assortir les licences de cahiers des charges au contenu modulable, soit à prévoir des formes de participation privée à l’activité de l’institut national" après avoir indiqué que "le monopole public impose les restrictions les plus fortes à la liberté d’expression, à savoir l’impossibilité totale de s’exercer autrement que par le biais d’une station nationale et le cas échéant, de façon très réduite, par une station câblée locale. Eu égard à leur radicalité, elles ne sauraient se justifier qu’en cas de nécessité impérieuse".

[18] En ce sens, v. V. GOESEL-LE BIHAN, op. cit. p. 204.

[19] Dans son arrêt du 11/07/1989, Schräder, 265/87 § 22, la CJCE considère en effet qu' "en ce qui concerne le contrôle judiciaire des conditions indiquées, il y a toutefois lieu de préciser que le législateur communautaire dispose en matière de politique agricole commune d'un pouvoir discrétionnaire qui correspond aux responsabilités politiques que les articles 40 et 43 du traité lui attribuent. Par conséquent, seul le caractère manifestement inapproprié d'une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l'objectif que l'institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d' une telle mesure".  Sur cette jurisprudence, v. D. RITLENG, Le contrôle de la légalité des actes communautaires par la Cour de justice et le Tribunal de première instance des Communautés européennes, Thèse, 1998, non publiée, p. 564.

[20] Déc. du 6/12/1990, Loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, Rec. p. 89.

[21] CourEDH, 21/2/1986, James et autres c. Royaume-Uni,  n° 8793/79.

[22] Sur la jurisprudence de la CourEDH, on pourra se reporter à J.F. FLAUSS, "Convention européenne des droits de l'homme" inDictionnaire des droits fondamentaux (ss la dir. de D. CHAGNOLLAUD et G. DRAGO), Dalloz, 2006, p. 96, sur celle de la CJCE à D. RITLENG, op. cit. p.  567 et s. et, sur celle du Conseil constitutionnel, à V. GOESEL-LE BIHAN, op. cit., p. 191 et s. Sur le degré d'intensité variable du contrôle exercé, v. déjà R. BADINTER, "La Convention européenne des droits de l’Homme et le Conseil constitutionnel" in Mélanges R. RYSSDAL, Cologne, Carl Heymanns Verlag, 2000, p. 82 et D. SZYMCZAK, op. cit., p. 193 et s.

[23] Pour une telle présentation et la conclusion - inévitable - qu'elle appelle au regard des exigences de la CourEDH, v. T. CAFFOZ, "Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation dans la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité", 2014, http://www.afdc.fr/congresLyon/CommLA/A-caffoz_T2.pdf : "On touche là à une autre limite du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation en QPC : utilisé dans une procédure qui vise à établir la Constitution comme un élément central de la protection des droits fondamentaux des individus, il peut avoir un effet contreproductif en ayant pour conséquence de laisser en vigueur des lois qui sont mises à mal sur le terrain du contrôle de conventionnalité. Dans cette logique, et contrairement aux objectifs de la QPC, c’est le contrôle de conventionnalité des juges ordinaires qui pourrait demeurer le principal instrument de protection des droits et libertés aux yeux des justiciables". Pour une présentation plus nuancée, le contrôle restreint étant toutefois considéré comme de principe dans les jurisprudences du Conseil constitutionnel et des Cours européennes, v. S. PLATON, La coexistence des droits fondamentaux constitutionnels et européens dans l'ordre juridique français, LGDJ, 2008, p. 626 et s. Pour une critique plus radicale de la jurisprudence, le Conseil constitutionnel étant présenté comme n'ayant jamais "ouvertement admis" "le recours à cette technique de la proportionnalité", v. D. BARANGER, Sur la manière française de rendre la justice constitutionnelle, Jus politicum 2012, n°7, p. 4, (http://www.juspoliticum.com/Sur-la-maniere-francaise-de-rendre.html).

[24] C. GREWE notait déjà, après avoir constaté "l'indifférence pour les systématisations" et "l'absence de véritable théorie des restrictions aux droits fondamentaux" en droit français que "si les instruments de contrôle existent (…) d'ores et déjà, il faut cependant en prendre conscience (…). Là encore, l'obligation de respecter la CEDH peut s'avérer salutaire en contraignant le droit français à mieux ordonner ses outils et donc en définitive à mieux les comprendre" ("Les influences du droit allemand des droits fondamentaux sur le droit français : le rôle médiateur de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme", op. cit. p. 30).

[25] Ce contrôle est présenté in V. GOESEL-LE BIHAN, "Le contrôle de l'objectif poursuivi par le législateur dans la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel", RFDC 2014, p. 269 et s.

[26] Déc. DC du 21/12/1999, Loi de financement de la sécurité sociale, Rec. p. 143 et DC du 29/12/1999, Loi de finances rectificative pour 1999, Rec. p. 168. Concernant une mesure fiscale rétroactive, la première décision exigeant un "intérêt général suffisant" est la décision du 18/12/1998, Loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 (Rec. p. 315).

[27] CourEDH, 28/10/1999, Arrêt Zielinski et autres c. France, RFDA 2000, p. 299 faisant suite à CC, déc. DC du 13/01/1994, Loi relative à la santé publique et à la protection sociale, Rec. p. 21.

[28]JO du 24/12/2013 p. 21069.

[29]JO du 16/02/2014 p. 2724.

[30] Sur la portée de ce changement, v. le commentaire de la décision du 24/07/2014, Loi relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par des personnes morales de droit public : "Avec la décision n° 2013-366 QPC du 14 février 20148, le Conseil constitutionnel a parachevé l’évolution de sa jurisprudence sur les validations législatives, initiée il y a quinze ans. Le Conseil a modifié son considérant de principe sur le contrôle des lois de validation, qui reste fondé sur l’article 16 de la Déclaration de 1789. La modification consiste dans le remplacement de la référence à un "intérêt général suffisant" par la référence un "motif impérieux d’intérêt général". Ce faisant, le Conseil constitutionnel a entendu expressément souligner l’exigence de son contrôle : le contrôle des lois de validation qu’il assure sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration de 1789 a la même portée que le contrôle assuré sur le fondement des exigences qui résultent de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales".

[31] Sur le principe de confiance légitime, v. en particulier l'arrêt de la CourEDH, 15/06/2006, Lykourezos c. Grèce, n° 33554/03 § 57 à mettre en relation avec la déc. DC du CC du 19/12/2013 Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, JO du 24/12/2013 p. 21069.

[32] Sur l'exigence d'un but légitime, v. déjà C. GREWE qui notait toutefois qu'elle est "rarement discutée" en France ("Les influences du droit allemand des droits fondamentaux sur le droit français : le rôle médiateur de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme", op. cit., p. 30).

[33] Il s'agit de la déc. du 29/12/2012 Loi de finances pour 2013 (Rec. p. 724), confirmée par celle du 29/12/2013, Loi de finances pour 2014 (JO du 30/12/2013 p. 22188). Les déclarations d'inconstitutionnalité qu'elles comportent concernent le principe d'égalité devant les charges publiques : "Considérant que le maintien du régime fiscal dérogatoire applicable aux successions sur des immeubles situés dans les départements de Corse conduit à ce que, sans motif légitime, la transmission de ces immeubles puisse être dispensée du paiement de droits de mutation ; que la nouvelle prorogation de ce régime dérogatoire méconnaît le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques" (déc. du 29/12/2012).

[34] Sur ces décisions et sur cette démarche, v. V. GOESEL-LE BIHAN, "Le contrôle de l'objectif poursuivi par le législateur dans la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel", op. cit., p. 283 et s. Pour une hypothèse d'inconventionnalité pour absence d'intérêt légitime poursuivi par le législateur, v. toutefois CourEDH, Darby c. Suède, 23/10/1990, n°11581/85.

[35] CourEDH, 21/2/1986, James et autres c. Royaume-Uni,  n° 8793/79 et 14/02/2006, Lecarpentier et autre c. France, n° 67847/01. La Cour précise qu'elle "respecte la manière dont il conçoit les impératifs de l’"utilité publique" sauf si son jugement se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable. En d’autres termes, elle ne saurait substituer sa propre appréciation à celle des autorités nationales, mais elle doit contrôler au regard de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) les mesures litigieuses et, à cette fin, étudier les faits à la lumière desquels lesdites autorités ont agi".

[36] Commentaire de la déc.. n° 2011-157 QPC du 5/08/2011, Interdiction du travail le dimanche en Alsace-Moselle, Rec. p. 430 ; v. également le commentaire de la déc. n° 2013-318 QPC du 7/06/2013, Activité de transport public de personnes à motocyclette ou tricycle à moteur, JO du 9/06/2013 p. 9630. Sur cette jurisprudence, on pourra se reporter à V. GOESEL-LE BIHAN, "Le contrôle de l'objectif poursuivi par le législateur dans la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel", op. cit., p. 289.

[37] Arrêt du 29/04/1999, n° 25088/94, 28331/95 et 28443/95.

[38] Déc. du 20/07/2000, Loi relative à la chasse, Rec, p. 107.

[39] Dans le même sens et s'agissant des objectifs de valeur constitutionnelle, v. C. GREWE, qui s'interroge toutefois sur leur source d'inspiration exacte en ces termes : "S'agit-il d'un emprunt direct au droit allemand sans détour par la CEDH, s'agit-il d'une construction analogue aux droits non directement applicables - auquel cas l'origine serait plutôt italienne - ou s'agit-il de la logique des obligations positives ?" ("Les influences du droit allemand des droits fondamentaux sur le droit français: Le rôle médiateur de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme", RUDH 2004, p. 29).

[40] Déc. du 18/09/1986 Loi sur la liberté de communication, Rec. p. 141.

[41] Pour une opinion différente, qui ne prenant pas en compte le contrôle de l'incompétence négative ou ne lui reconnaissant qu'une portée limitée, considère les exigences ou les objectifs de valeur constitutionnelle comme n'imposant pas d'obligation au législateur, v. S. PLATON, op. cit., p. 137 et s., T. DUBUT, "Le juge constitutionnel et les concepts. Réflexions à propos des "exigences constitutionnelles"", RFDC 2009, p. 760 et s. et J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, "La conception des libertés par le Conseil constitutionnel et par la Cour européenne des droits de l'homme", NCCC 2011, n° 32, p. 22 et s.

[42]Rec. p. 173.

[43] N° 926/05.

[44] Sur ce point, v. F. SUDRE, op. cit. p. 258.

[45] L'expression est utilisée par J.F. AKANDJI-KOMBE à propos des obligations positives (Les obligations positives en vertu de la Convention européenne des droits de l'homme, Précis sur les droits de l’homme, Conseil de l'Europe, 2006, n° 7, p. 6).

[46]Rec. p. 107.

[47] Dans cette décision, ce n'est toutefois pas l'insuffisance de sa mise en oeuvre qui est sanctionnée, mais l'excès de sa mise en oeuvre en tant qu'elle est considérée comme portant une atteinte disproportionnée à l’exercice de la liberté de communication.

[48] Sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, v. V. GOESEL-LE BIHAN, Le juge constitutionnel et la proportionnalité, Rapport français à la Table ronde internationale de justice constitutionnelle d'Aix-en-Provence (4 et 5 septembre 2009), AIJC 2009, p. 424 ; sur celle de la CourEDH, v. J.F. AKANDJI-KOMBE, op. cit. p. 18.

[49] CourEDH,n° 8793/79.

[50] CourEDH, n° 25088/94, 28331/95 et 28443/95.       

[51] Arrêt James c. Royaume-Uni.

[52] Arrêt Chassagnou et autres c. France.

[53] Déc. du 21/01/1994, Loi portant diverses dispositions en matière d'urbanisme et de construction Rec. p. 40 : invoquant explicitement le détournement de pouvoir, les requérants estiment que l'assouplissement de la réglementation d'urbanisme applicable aux zones de montagne vise essentiellement la satisfaction d'intérêts privés - ceux des promoteurs immobiliers - et non la satisfaction de l'intérêt général.

[54] Déc. du 12/05/2010, Loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, Rec. p. 78.

[55] En ce sens, v. le commentaire de la décision DC Loi relative à la commission prévue à l'article 25 de la Constitution et à l'élection des députés en date du 8/01/2009 : "En 2009, le Conseil a cependant estimé que l’évolution des circonstances de droit et de fait ne permettait plus de considérer que cette atteinte au principe d’égalité devant le suffrage constituait un "impératif d’intérêt général" permettant de déroger à la règle fondamentale selon laquelle les députés sont élus sur des bases essentiellement démographiques. Il a donc expressément procédé à un revirement de l’application de sa jurisprudence de 1986".

[56] N° 43835/11.

[57] La Cour estime qu'"en adoptant l’interdiction litigieuse, le législateur entendait répondre à des questions de "sûreté publique" ou de "sécurité publique".

[58] "La Cour estime en revanche que, dans certaines conditions, ce que le Gouvernement qualifie de "respect des exigences minimales de la vie en société" – le "vivre ensemble", dans l’exposé des motifs du projet de loi (paragraphe 25 ci-dessus) – peut se rattacher au but légitime que constitue la "protection des droits et libertés d’autrui"".

[59] En ce sens, v. B. BONNET, "La CourEDH et l'interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public. Quand la marge nationale d'appréciation fait droit…", La Semaine juridique, Edit. gén., 21/07/2014, p. 1426.

[60] Déc. QPC, 11/06/2010, Rec. p. 105.

[61] Cette question est déjà posée in V. GOESEL-LE BIHAN, "Le contrôle de l'objectif poursuivi par le législateur dans la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel", op. cit., p. 284-285.

[62] M. PROUST, Du côté de chez Swannin A la recherche du temps perdu, La Pléiade, p. 135.