La liberté d'association, une liberté de "premier rang"

Valérie Goesel-Le Bihan

Professeur de droit public à l’Université Lumière Lyon 2 


Contrairement à la liberté de l'enseignement, dont le champ d'application a été interprété restrictivement, la liberté d'association a fait l'objet d'une protection particulière par le Conseil constitutionnel. Dans sa décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021, il a en effet soumis ses restrictions au triple test de proportionnalité, la rangeant ainsi dans la catégorie des droits et libertés dits de "premier rang". Elle a ainsi rejoint la liberté individuelle - ainsi que la liberté de communication, sur le fondement de laquelle les libertés de réunion et de manifestation ont également intégré cette catégorie.

Est-ce étonnant ? non, car seule l'absence de restrictions législatives nouvelles apportées à ce droit n'avait pas permis au Conseil de le préciser antérieurement. On ne pouvait toutefois douter de cette "qualification", tant la liberté d'association est, comme la liberté de communication, une condition d’exercice de la souveraineté nationale et de la démocratie - les partis politiques sont la plupart constitués sous cette forme - et mérite ainsi une protection renforcée. Le Président du Sénat Alain Poher le savait bien, lui qui avait saisi le Conseil constitutionnel en 1971 de la loi complétant la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, dont l’examen au fond a changé le visage du contrôle de constitutionnalité en France.

Le Conseil constitutionnel en a-t-il profité pour expliciter la formulation de principe applicable à ces droits et les contours exacts des exigences qui leur sont applicables ? La réponse est aussi négative.

Si l'objectif de valeur constitutionnelle de préservation de l'ordre public est présenté comme étant poursuivi par la loi (§. 36), cette précision ne correspond à aucune exigence qui aurait été au préalable inscrite dans le "considérant" de principe : l'exigence d'un objectif, même réduit à un simple intérêt général, n'y figure pas, le triple test de proportionnalité étant seul mentionné (§. 34). L'exigence d'un objectif "légitime" reste donc toujours en attente d'une consécration explicite qui, pour des droits de cette catégorie, devrait pouvoir ne viser que ceux de valeur constitutionnelle dans le sillage de la décision Entreprises de presse de 1984, et qu'un inexplicable silence maintient pourtant dans les limbes du non-dit.

Quid du contrôle de proportionnalité, explicite celui-là ? S'il est entier et permet ainsi de protéger davantage les droits de cette catégorie, ceux de second rang ne faisant en général l'objet que d'un contrôle restreint à la sanction des disproportions manifestes lorsqu'un objectif de valeur constitutionnelle est ainsi poursuivi, la signification du triple test n'est pas davantage explicitée. Quel intérêt y a-t-il à distinguer la nécessité, si l'absence de nécessité n'est pas sanctionnée en tant que telle et si un contrôle global est seulement exercé, comme l'affirmait le commentaire d’une décision de 2017 (V. Goesel-Le Bihan, "Drôle de nécessité", Tribune, AJDA 19 février 2018) ? Une chose est sûre : la motivation du contrôle de proportionnalité reste quant à elle globale, le Conseil se contentant d’affirmer, au terme de son analyse, que "le législateur n'a pas porté à la liberté d'association une atteinte qui ne serait pas nécessaire, adaptée et proportionnée" (§. 40).

Même si les temps ne sont peut-être pas propices à l’évolution générale de la motivation des décisions du Conseil, on peine à comprendre pourquoi des cristallisations incomplètes de "considérants" de principe y subsistent aussi longtemps pour être finalement reproduites à l’occasion de la reconnaissance de nouveaux droits du même type.

Les libertés "de premier rang", plus maltraitées à cet égard que les droits et libertés économiques, pourtant de "second rang", méritent mieux, étant particulièrement précieuses dans une société démocratique.


9 décembre 2022