Après la décision Hadopi


Valérie Goesel-Le Bihan

Professeure de droit public à l’Université Lumière Lyon 2 


Cher Conseil constitutionnel,

Vous travaillez lorsque d’autres sont en vacances, les lois votées par le Parlement devant être examinées dans le mois qui suit votre saisine. Ces quelques lignes vous soutiendront peut-être dans votre tâche, que je ne crois pas aisée. Vous trouvant soit pusillanime (mais vous l’avez un peu cherché en relâchant après les attentats de 2001 le contrôle que vous exercez sur certaines atteintes à la liberté individuelle et à la vie privée), soit trop entreprenant (vous substitueriez indûment vos appréciations à celle du législateur), mes collègues ne vous voient pas tous du même oeil. Et comment le pourraient-ils, sachant que la fixation du seuil où s’arrête votre contrôle relève en partie de votre pouvoir d’appréciation et qu’elle évolue souvent à petits pas, si petits - et si peu explicites - que même le spécialiste n’y comprend goutte ?

Bien sûr, vous avez adopté en 2008 la décision relative à la rétention de sûreté et exigé pour la première fois qu’une mesure portant atteinte à une liberté essentielle - en l’occurrence la liberté individuelle - soit à la fois «adaptée, nécessaire et proportionnée» à l’objectif poursuivi, reprenant à votre compte la démarche de votre voisine d’outre-Rhin et de la plupart des cours constitutionnelles étrangères et européennes. Votre décision Hadopi le confirme en étendant cette triple exigence à la liberté de communication.       

Bien sûr, vous n’avez pas confondu l’adaptation des mesures prises et leur efficacité. Dans la décision Hadopi, vous avez donc gardé le silence sur les premiers griefs avancés par l’opposition. L’existence d’un lien logique entre les moyens utilisés et l’objectif poursuivi étant suffisante, vous n’avez pas sanctionné un dispositif «aisément contournable, contre-productif, inapplicable et coûteux».     

Bien sûr, vous n’avez pas recherché, dans le cadre de votre contrôle de la nécessité de la mesure, si la licence globale proposée par l’opposition et certains membres de la majorité n’était pas une mesure alternative moins contraignante pour les droits et libertés que la «risposte graduée» fondée sur une logique répressive. La marge d’appréciation dont vous disposez n’est pas celle du législateur, vous savez nous le rappeler, même dans les décisions où vous restreignez pourtant cette dernière. La rétention de sûreté, avez-vous d’ailleurs exigé, ne pourra être décidée que si les mesures moins contraignantes déjà applicablessont insuffisantes pour atteindre l’objectif recherché (mesures de sûreté et prise en charge médicale des détenus concernés).      

Mais, comme vous le faisiez déjà depuis fort longtemps, vous avez contrôlé la proportionnalité des mesures restrictives des libertés, autant dans leur champ d’application que dans les garanties procédurales offertes. Ce faisant, vous avez imposé le recours au juge et non à une simple commission indépendante pour suspendre l’accès d’un abonné à internet. 

A défaut d’avoir ouvert les yeux à la majorité, vous avez, comme c’est votre rôle, sauvegardé la liberté. 


Juillet 2009